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Actualatina
8 mars 2013

VENEZUELA - Décès de Chavez : consolidation d’un mythe ou début d’une nouvelle ère ?

Atteint d’un cancer dont l’annonce officielle remonte à juin 2011, le leader vénézuélien Hugo Rafael Chavez Frias est décédé des suites de sa maladie le 5 mars 2013. Décryptage de l'histoire d'un dirigeant à la popularité hors du commun et des enjeux de sa succession.

Il avait presque réussi à faire croire qu’il était immortel. Difficile de réaliser que celui qui a gouverné le Venezuela pendant 14 ans ne s’adressera plus à son peuple. Pourtant, la stricte réserve observée par les autorités quant à l'état de santé du Président Hugo Chavez n'était guère des plus rassurantes.

Homme du peuple, homme de pouvoir, de medias et de longs discours patriotiques, le charismatique leader latino-américain a marqué une empreinte profonde dans l’imaginaire collectif des Vénézuéliens.  Fils d’enseignants de l’Etat de Barinas à l’ouest du Venezuela, Hugo Chavez est devenu à la fin des années 1990 l’homme providentiel qui a su conquérir le cœur (et le vote) des plus démunis qui lui sont restés fidèles jusqu’au bout, appuyant massivement sa 3e réélection à la tête du pays en octobre dernier.

Les grands titres de la presse mondiale n’ont pas tardé à sortir leur nécrologie déjà ficelée, dès les premières minutes suivant l’annonce de sa mort. De son engagement dans l’armée aux multiples épisodes de sa maladie en passant par son coup d’Etat avorté en 1992 et celui qu’il a subi en 2002, sans oublier ses frasques anti-impérialistes et ses fameuses « missions », Hugo Chavez a été incontestablement la plus grande figure du paysage politique vénézuélien de ces 20 dernières années et un personnage majeur de l’histoire contemporaine de l’Amérique latine. Rêvant de poursuivre l’œuvre de Simon Bolivar « el Libertador », selon sa propre conception,  son aura a largement dépassé les frontières de son pays, polarisant « pro- » et « anti-Chavez » dont les affrontements par médias interposés ne sont pas près de faiblir.

Un homme, deux camps

D’une part, un homme dévoué corps et âme à la cause des opprimés, dont la politique a réussi à réduire significativement la pauvreté grâce à une redistribution des revenus issus d’une formidable rente pétrolière,  des efforts conséquents dans la santé et l’éducation, la création d’un système de démocratie participative. D’autre part, des indicateurs économiques au rouge dus notamment à une baisse de la productivité et un manque de diversification de la production nationale, des problèmes de corruption persistants et une insécurité gravissime, une personnification du pouvoir et les dérives qui l’accompagnent. Les arguments sont nombreux, et chacun d’entre eux pourrait être longuement débattu. Beaucoup sont fondés, sans toutefois être entendus à leur juste valeur par le camp adverse, les idéologies et l’extrême polarisation politique ayant rendu difficile un débat « objectif » au sujet de la Révolution Bolivarienne.

Mais la fondation de ce nouveau régime consacré par la Constitution de 1999 et la popularité du leader qui la porte sont à considérer à la fois sur un long passé et dans le temps présent. L’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez est à la fois le fruit d’une perte de légitimité de la période politique antérieure, et le signe d’un retour en surface d’un imaginaire et de différents mythes construits autour de la période d’indépendance du pays.

L’indépendance du Venezuela ou le temple des héros

Le projet de faire revivre l’âme du Libertador Simon Bolivar et de reconstruire le passé mythique de l’indépendance, en reprenant les grands symboles de l’histoire patriotique, est venu répondre à un imaginaire formé au cours de l’histoire, intégré dans les mentalités collectives et souvent utilisé par les dirigeants successifs du pays.

Cette vision davantage émotionnelle et subjective, influencée par les mécanismes sélectifs de la mémoire, que rationnelle et fondée sur une analyse critique des faits, a conféré au présent un sens tout en apportant une explication à ses acteurs.

13 ans de guerre presque ininterrompus (de 1810 à 1823) ont  fait apparaître une société « sans mémoire », sans culture commune, dans laquelle chacun des groupes qui la composait avait ses propres croyances mais aussi sa sensibilité et ses espoirs, dont la confrontation ne pouvait laisser augurer la formation d’une nation capable de porter un projet unifié tel que le souhaitait Bolivar qui était alors à la tête de la Grande Colombie (composée du Venezuela, de l’Equateur et de la Colombie comprenant à l’époque l’actuel Panama).

L’oubli et l’occultation du passé colonial, ainsi que la négation des conflits du moment se sont accompagnés d’un culte porté aux héros de l’indépendance dans le but d’instaurer un ordre social et de fonder une société unie, remplissant une fonction unificatrice et mobilisatrice, la même que remplira la Révolution Bolivarienne lorsqu’elle s’instaure en 1999. Simon Bolivar, Francisco de Miranda, Antonio Jose de Sucre, Jose Felix Ribas ou encore Pedro Camejo dit « Negro Primero », prêtent aujourd’hui leurs noms aux missions sociales instaurées par le régime chaviste.

Des circonstances propices au retour de la figure du héros-guerrier

Le mythe du Libertador n’est pas non plus un phénomène nouveau. Il fait partie intégrante de l’identité vénézuélienne et le culte de Bolivar est célébré unanimement depuis le XIXème siècle. L’image du héros-guerrier est aussi à la base d’une certaine conception du pouvoir. Le changement politique et l’ordre social sont en effet restés associés au pragmatisme incarné par le militaire. Le personnalisme politique est alors une conséquence de cette conception qui s’est inscrite dans une tradition nationale. Entre 1830 et 1903, l’historien Rafael Arraiz Lucca ne relève pas moins de 39 soulèvement militaires et révolutions au Venezuela(1).

Certes, des années 1960 à la fin des années 1980 le Venezuela faisait figure d’exception démocratique depuis le pacte de « puntofijo » de 1958 instaurant la IVe République, quand la plupart des autres pays de la région faisaient face à des dictatures sanglantes. Mais la perte totale de crédibilité de la classe politique dans les années 1980-1990 et la crise socio-économique ont créé un climat propice à un changement radical puisant sa légitimité dans des racines profondes de l’identité du pays.

De ses premiers écrits à ses discours présidentiels, de ses premières conspirations au sein de l’armée à ses élans patriotiques depuis le palais de Miraflores, installé devant un portrait de Bolivar, l’histoire personnelle d’Hugo Chavez autant que l’image qu’il renvoie publiquement, tout concourt à l’évocation d’un messianisme militaire alimenté par l’histoire patriotique du pays. Analyser le personnage d’Hugo Chavez, c’est aussi comprendre le destin d’un homme qui, en d’autres lieux et dans d’autres temps, n’aurait probablement jamais été érigé en héros rédempteur à la suite de son coup d’Etat de 1992.  L’homme qui s’adresse pour la première fois au pays le 4 février 1992, réveille les imaginaires enfouis et synthétise à lui seul les attentes d’une société nostalgique.

Une victoire « symbolique » décisive

Chavez a grandi comme tous les enfants vénézuéliens dans le culte des héros de l’indépendance. Lui-même se déclare avoir été fasciné dès son enfance par Bolivar.  Enquêtant sur son arrière-grand-père Pedro Perez Delgado dit « Maisanta », il se convainc d’être le descendant d’un grand révolutionnaire qui avait lutté pour les droits politiques sous la dictature de Juan Vicente Gomez (1908-1935). Faute de sources écrites, les historiens n’ont jamais réellement déterminé s’il s’agissait d’un révolutionnaire ou d’un bandit. Mais un ouvrage publié en 1974(2) réhabilite l’image de Maisanta et persuade le jeune Chavez de son héritage révolutionnaire.

Le EBR-200 (Ejercito Bolivariano Revolucionario qui devient un mouvement civico-militaire sous le nom de Movimiento Bolivariano Revolucionario en 1989) créé en 1982 en vue du bicentenaire de la naissance du Libertador, ne manque pas de rappeler la « prophétie » du poème de Pablo Neruda (Un canto para Bolivar) qui évoque le « Bolivar [qui s’] éveille tous les cent ans quand le peuple s’éveille ».

L’épopée de l’indépendance, l’exaltation des exploits militaires et le culte des héros présents dans les mentalités et véhiculés par l’histoire patriotique se retrouvent dans les premiers écrits de Chavez. Dans son ouvrage Un brassard tricolore, regroupant six textes rédigés entre 1974 et 1989, il fait l’éloge de l’armée et de l’action militaire destinée à « sauver la patrie humiliée »(2).

Les premières idées de son projet révolutionnaire sont exposées dans le « Livre bleu » écrit peu avant les événements du 3-4 février 1992 (date choisie en référence à l'anniversaire du Général Sucre). Il y développe le concept de « l’arbre aux 3 racines » qu’il appelle le système EBR. Le E est celui du Général en chef Ezequiel Zamora, connu comme le « général du peuple souverain », ayant mené une révolte paysanne contre « l’oligarchie conservatrice », favorable à « une terre et des hommes libres » et plaidant pour des élections populaires. C’est l’un des seuls héros célébrés ne datant pas de l’indépendance, car il s’était principalement distingué entre 1846 et 1860 et fut tué dans des circonstances mystérieuses pendant la guerre fédérale. Le B est celui de Bolivar, le héros suprême. Enfin, le R correspond à Simon Rodriguez, le maître, auteur du célèbre « o inventamos o erramos ».

A la lumière de ces symboles sacrés de la « religion bolivarienne », on remarque comment le mythe révolutionnaire tire sa capacité de mobilisation et suscite l’espérance de l’émancipation à partir de la nostalgie d'une période sublimée. Chavez réactive ce mythe et s’empare de la gloire des héros. Bien que le coup d’Etat de 1992 ait échoué (« pour le moment » selon ses propos de l’époque restés célèbres), la bataille des symboles, elle, était bel et bien gagnée.

Chavez, un Bolivar des temps modernes ?

Une relation symbolique s’instaure alors entre lui et son mentor. Il semble être convaincu, bien avant d’être élu président,  qu’une mission lui incombe, celle de marcher sur les traces du Libertador, de continuer et d’achever son œuvre.

Dès ses premières interventions publiques à la suite de la tentative de coup d’Etat qu’il a dirigée le 4 février 1992 (et qui lui vaudra 2 ans de prison), Hugo Chavez semble s’unir à la figure de Bolivar.  Lors d’une interview donnée au journal El Nacional depuis la prison de San Francisco de Yare le 2 mars 1992, il déclarait :

            « Le vrai auteur de cette libération, le leader authentique de cette rébellion, c’est le général Simon Bolivar […] Bolivar et moi avons fait un coup d’Etat. Bolivar et moi voulons changer le pays ».

Ce dernier l’accompagne dans toutes les étapes de son ascension politique. Dans ses premières luttes, lors de son coup d’Etat, lors de sa première élection en 1998. Quelques mois après sa prise de pouvoir, le 5 août 1999, il déclare :

        « Aujourd’hui nous pouvons dire que la révolution vient de là-bas, sans aucun doute, de Bolivar, qui revient avec sa clairvoyance, son épée dégainée, avec sa parole et sa doctrine »

Puis lors de sa réélection en 2006, lorsqu’il associe Bolivar à son projet de « Socialisme du XXIème siècle » :

« Cette nouvelle ère est celle de la démocratie socialiste. Cette nouvelle ère est celle de la nouvelle société socialiste. Cette nouvelle ère est la nouvelle économie socialiste, cette nouvelle ère est celle qu’annonçait Simon Bolivar en 1819 »

Un même projet, une même lutte, un même destin. Selon une anecdote contée par l’historien Elias Pino Iturrieta et que confirment ses proches, lors de ses réunions, notamment en prison, Chavez demandait toujours de laisser une chaise vide, affirmant que l’esprit du Libertador descendait et s’y asseyait pour les accompagner et les illuminer dans la discussion.

Un chavisme sans Chavez ?

Après le temps du recueillement – 7 jours de deuil national ont été annoncés – viendra le temps des élections, comme le veut la constitution. Nicolas Maduro, actuellement Vice-Président et qui sera chargé de la période transitoire, est le successeur désigné officiellement par Chavez lors de sa dernière allocution télévisée, le 10 décembre 2012. Avant de partir pour La Havane, il invitait le peuple à élire, dans le cas où il ne serait plus en mesure d’assurer le pouvoir, son ancien Ministre des Affaires Etrangères, bien moins charismatique, mais qui lui est toujours resté fidèle.

 Seul l’avenir et la démocratie nous diront si Hugo Chavez a véritablement construit une idéologie politique pérenne, ou si ce mouvement est de facto amené à disparaître en même temps que son principal leader.

L’impact émotionnel de cette disparition dominera probablement les débats politiques pendant une période plus ou moins longue. L’opposition, débarrassée de sa bête noire,  devra se montrer digne, et savoir tirer les leçons de ces dernières années pour proposer un modèle social réconciliateur, susceptible d’être appuyé par le plus grand nombre. Autrement dit, ne pas retomber dans un vieux travers politique vénézuélien consistant à vouloir anéantir l’héritage du modèle antérieur.

Une hypothèse tout à fait probable sur les conséquences de la situation actuelle serait de voir le défunt Chavez érigé au rang d’icône quasi religieuse. Nicolas Maduro a déjà posé les premières bases en accusant « les ennemis historiques de [la] patrie » d’avoir « attaqué le commandant Chavez avec cette maladie ». Des propos qui tracent implicitement un nouveau parallèle avec le Libertador dont Chavez avait ordonné l’exhumation des cendres en juillet 2010, persuadé que ce dernier ne serait pas mort de la tuberculose mais aurait été empoisonné par « l’oligarchie ». L’image du héros trahi, laissant une œuvre inachevée,  est le dernier élément venant compléter le parallèle entre les deux hommes, ouvrant à Chavez les portes du sanctuaire où siègent les grands héros de la patrie.

Est-il réellement souhaitable que le pays reste tourné vers son passé et le culte de ses héros, empêchant toute évaluation politique objective ? Quel que soit le nouveau gouvernement qui sera au pouvoir dans quelques semaines, un pragmatisme et une vision citoyenne incluant toutes les couches de la société devront s’imposer pour combler les failles des politiques publiques actuelles et tenter de remédier aux problèmes structurels qui touchent le Venezuela. 

(1)   Rafael Arraiz Lucca, Venezuela : de 1830 a nuestros días.

(2)   Voir TAPIA (J.L.), El ultimo hombre a caballo

(3)   Voir ITURRIETA (E.P.), El divino Bolivar

Victor Abécassis

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