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Actualatina
10 janvier 2014

Le Chili de Michelle Bachelet : entre réforme sociale et influence régionale

" Bienvenue dans un monde meilleur ". C'est avec ces mots que le Président Piñera avait accueilli son homologue espagnol M. Rajoy lors de la 1ère réunion UE-CELAC (Commission Economique pour l'Amérique latine et les Caraïbes) au début de l'année 2013. Ce " monde meilleur " sera bientôt entre les mains de Michelle Bachelet, sortie vainqueur de l'élection présidentielle ce dimanche 25 décembre avec un peu plus de 62% des suffrages exprimés au deuxième tour face à sa rivale Evelyn Matthei, membre du parti conservateur UDI (Union Démocrate Indépendante) du Président sortant. Un taux d'abstention proche de 60% est venu ternir quelque peu cette victoire en apparence confortable. 

Alors que les enquêtes d'opinion font état d'un niveau de confiance désastreux des Chiliens envers les partis politiques, Michelle Bachelet jouit quant à elle d'une forte popularité, et ce depuis la fin de son premier mandat de Présidente en 2010. Malgré cela, sa marge de manoeuvre dépendra beaucoup de ses relations avec le Parlement. Sa coalition Nueva Mayoría a obtenu 68 des 120 postes de députés, et 12 des 20 postes de sénateurs renouvelés (portant son total à 21 sur 38 sénateurs), un résultat qui ne permet pas à lui seul d'envisager des réformes structurelles. Il faudra donc à Michelle Bachelet le soutien des quelques indépendants, et négocier avec l'opposition Alianza. Dans ce contexte, Mme Bachelet sera jugée sur le programme ambitieux qu'elle propose : elle pourrait amorcer des réformes sociales très attendues, mais aussi marquer une inflexion de la politique internationale du Chili.  

Un programme en phase avec les attentes de la société chilienne 

La future occupante du palais de la Moneda a réussi à conserver la popularité dont elle jouissait à l'issue de son premier mandat (2006-2010), restant soigneusement à l'écart de la vie politique chilienne au cours des quatre dernières années, afin de se positionner au-delà des partis politiques. Laissant longtemps planer le doute quant à sa candidature, plébiscitée par une grande partie du centre et de la gauche, elle a largement dominé les primaires organisées par la coalition Nueva Mayoria - composée notamment du Parti Socialiste, de la démocratie chrétienne et du Parti communiste. Sans rentrer dans les détails des réformes qu'elle promet, ce que déplorent beaucoup d'observateurs, Michelle Bachelet a su saisir les principales attentes de la société chilienne, toujours régie par la Constitution adoptée sous la dictature du général Pinochet.  

Ainsi, sa campagne s'est axée autour de trois piliers fondamentaux : l'éducation, la fiscalité et la Constitution. En matière d'éducation, Mme Bachelet entend répondre à la nécessité d'instaurer une éducation gratuite et universelle face à un système inégalitaire contrôlé par le secteur privé, qui impose des coûts exorbitants et exclut fatalement les plus démunis. Son programme fiscal, deuxièmement, a pour but de générer davantage de ressources publiques (elle propose une hausse des prélèvements de 20 à 25 %) pour financer un véritable modèle social dont les besoins concernent particulièrement la santé et les retraites, également du ressort du secteur privé. Enfin, c'est principalement pour des raisons de manque de représentativité (dû au système binominal qui offre la quasi-totalité des sièges aux deux grands partis opposés), que la Constitution doit être révisée selon Mme Bachelet. Ce dernier point est sans doute le plus problématique, car une révision de la Constitution demande d'obtenir une majorité des 3/5e au Congrès. 

En somme, il s'agit d'avancer pas à pas vers une redéfinition du rôle de l'Etat, et d'approfondir la lente transition démocratique laissée inaboutie par les gouvernements post-Pinochet de la Concertation. Un programme convaincant, en cette année de commémoration des 40 ans du coup d'Etat militaire qui s'était soldé, le 11 septembre 1973, par la fin de l'Unité populaire et le suicide de son leader, Salvador Allende.  

L'aspect symbolique de cette campagne était d'autant plus troublant que Michelle Bachelet, et sa principale rivale Evelyn Matthei, ont des destins croisés mais diamétralement opposés. Le père de la première, le général Alberto Bachelet, est mort en 1974 après avoir été torturé dans un centre de détention alors dirigé par l'un de ses anciens amis, le général Fernando Matthei, père d'Evelyn. 

Une personnalité internationale de haut rang pour le Chili  

Les atouts de Michelle Bachelet ne sont pas seulement liés à son histoire personnelle et à son bilan politique interne. Grâce à son premier mandat en tant que Présidente du Chili - au cours duquel elle a assumé pendant un an la présidence de l'Union des nations sud-américaines - et à ses fonctions de Directrice exécutive de l'ONU-Femmes de 2010 à 2013, Michelle Bachelet est devenue une personnalité politique de premier plan en Amérique latine. Le Chili, qui siégera au Conseil de sécurité de l'ONU à partir du 1er janvier 2014, dispose ici d'une occasion d'étendre son influence et de faire entendre sa voix au-delà de ses frontières. 

Si les blocages politiques institutionnels pourraient constituer de sérieuses entraves à des réformes de grande ampleur au niveau national, la légitimité et le charisme de Michelle Bachelet pourraient permettre de relancer une dynamique au niveau régional. Sa rupture idéologique avec son prédécesseur augure d'un rapprochement avec d'autres présidents de la région, et elle dispose d'atouts majeurs pour composer avec des leaders de l'envergure de Dilma Roussef, de Christina Kirchner, de Rafael Correa ou d'Evo Morales.  

Son programme international plaide d'ailleurs en ce sens : " la politique extérieure du Chili sous le prochain gouvernement doit contribuer à construire une meilleure unité régionale [...]. La CELAC [Commission des Etats d'Amérique latine et des Caraïbes] doit être une instance de coordination politique dans la région ".  

Cet objectif ne serait pas incompatible avec celui d'une politique exportatrice résolument tournée vers l'Asie, en développant l'Alliance du Pacifique lancée sous le gouvernement sortant. Michelle Bachelet entend utiliser l'impulsion de départ de cette instance récente pour en faire une " plateforme commerciale pour se projeter collectivement vers la région asiatique ".  

Les ambitions de la future Présidente du Chili sont donc de jouer un rôle moteur dans l'intégration des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, afin de relancer le dialogue avec les autres régions. L'Europe n'est pas en reste : Mme Bachelet souhaite " relancer [avec l'Europe] un dialogue politique, économique et de coopération avec un nouvel agenda basé sur la science, la technologie, l'investigation et l'innovation ". Encore incantatoires, ces déclarations devraient toutefois intéresser l'Union européenne, qui depuis le premier sommet UE-CELAC, a montré sa volonté de donner un nouveau souffle à sa coopération avec la région Amérique latine.  

Madame Bachelet prendra ses fonctions en mars 2014, et les défis qui l'attendent sont de taille. Elle a promis 50 mesures à mettre en oeuvre dans les 100 premiers jours de son mandat pour initier ces réformes de fond. Depuis l'Europe, les Etats porteront une attention particulière au prochain sommet de la CELAC qui aura lieu à Cuba au premier semestre de l'année prochaine. La construction d'une entité politique cohérente est la condition majeure pour un dialogue renouvelé et mutuellement bénéfique avec l'Europe.  


En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/le-chili-de-michelle-bachelet-entre-reforme-sociale-et-influence-regionale_1308759.html#jkmf4KhvbRBexdhl.99

Bachelet

" Bienvenue dans un monde meilleur ". C'est avec ces mots que le Président Piñera avait accueilli son homologue espagnol M. Rajoy lors de la 1ère réunion UE-CELAC (Communauté d'Etats d'Amérique latine et des Caraïbes) au début de l'année 2013. Ce " monde meilleur " sera bientôt entre les mains de Michelle Bachelet, sortie vainqueur de l'élection présidentielle ce dimanche 25 décembre avec un peu plus de 62% des suffrages exprimés au deuxième tour face à sa rivale Evelyn Matthei, membre du parti conservateur UDI (Union Démocrate Indépendante) du Président sortant. Un taux d'abstention proche de 60% est venu ternir quelque peu cette victoire en apparence confortable. 

Alors que les enquêtes d'opinion font état d'un niveau de confiance désastreux des Chiliens envers les partis politiques, Michelle Bachelet jouit quant à elle d'une forte popularité, et ce depuis la fin de son premier mandat de Présidente en 2010. Malgré cela, sa marge de manoeuvre dépendra beaucoup de ses relations avec le Parlement. Sa coalition Nueva Mayoría a obtenu 68 des 120 postes de députés, et 12 des 20 postes de sénateurs renouvelés (portant son total à 21 sur 38 sénateurs), un résultat qui ne permet pas à lui seul d'envisager des réformes structurelles. Il faudra donc à Michelle Bachelet le soutien des quelques indépendants, et négocier avec l'opposition Alianza. Dans ce contexte, Mme Bachelet sera jugée sur le programme ambitieux qu'elle propose : elle pourrait amorcer des réformes sociales très attendues, mais aussi marquer une inflexion de la politique internationale du Chili.  

Un programme en phase avec les attentes de la société chilienne 

La future occupante du palais de la Moneda a réussi à conserver la popularité dont elle jouissait à l'issue de son premier mandat (2006-2010), restant soigneusement à l'écart de la vie politique chilienne au cours des quatre dernières années, afin de se positionner au-delà des partis politiques. Laissant longtemps planer le doute quant à sa candidature, plébiscitée par une grande partie du centre et de la gauche, elle a largement dominé les primaires organisées par la coalition Nueva Mayoria - composée notamment du Parti Socialiste, de la démocratie chrétienne et du Parti communiste. Sans rentrer dans les détails des réformes qu'elle promet, ce que déplorent beaucoup d'observateurs, Michelle Bachelet a su saisir les principales attentes de la société chilienne, toujours régie par la Constitution adoptée sous la dictature du général Pinochet.  

Ainsi, sa campagne s'est axée autour de trois piliers fondamentaux : l'éducation, la fiscalité et la Constitution. En matière d'éducation, Mme Bachelet entend répondre à la nécessité d'instaurer une éducation gratuite et universelle face à un système inégalitaire contrôlé par le secteur privé, qui impose des coûts exorbitants et exclut fatalement les plus démunis. Son programme fiscal, deuxièmement, a pour but de générer davantage de ressources publiques (elle propose une hausse des prélèvements de 20 à 25 %) pour financer un véritable modèle social dont les besoins concernent particulièrement la santé et les retraites, également du ressort du secteur privé. Enfin, c'est principalement pour des raisons de manque de représentativité (dû au système binominal qui offre la quasi-totalité des sièges aux deux grands partis opposés), que la Constitution doit être révisée selon Mme Bachelet. Ce dernier point est sans doute le plus problématique, car une révision de la Constitution demande d'obtenir une majorité des 3/5e au Congrès. 

En somme, il s'agit d'avancer pas à pas vers une redéfinition du rôle de l'Etat, et d'approfondir la lente transition démocratique laissée inaboutie par les gouvernements post-Pinochet de la Concertation. Un programme convaincant, en cette année de commémoration des 40 ans du coup d'Etat militaire qui s'était soldé, le 11 septembre 1973, par la fin de l'Unité populaire et le suicide de son leader, Salvador Allende.  

L'aspect symbolique de cette campagne était d'autant plus troublant que Michelle Bachelet, et sa principale rivale Evelyn Matthei, ont des destins croisés mais diamétralement opposés. Le père de la première, le général Alberto Bachelet, est mort en 1974 après avoir été torturé dans un centre de détention alors dirigé par l'un de ses anciens amis, le général Fernando Matthei, père d'Evelyn. 

Une personnalité internationale de haut rang pour le Chili  

Les atouts de Michelle Bachelet ne sont pas seulement liés à son histoire personnelle et à son bilan politique interne. Grâce à son premier mandat en tant que Présidente du Chili - au cours duquel elle a assumé pendant un an la présidence de l'Union des nations sud-américaines - et à ses fonctions de Directrice exécutive de l'ONU-Femmes de 2010 à 2013, Michelle Bachelet est devenue une personnalité politique de premier plan en Amérique latine. Le Chili, qui siégera au Conseil de sécurité de l'ONU à partir du 1er janvier 2014, dispose ici d'une occasion d'étendre son influence et de faire entendre sa voix au-delà de ses frontières. 

Si les blocages politiques institutionnels pourraient constituer de sérieuses entraves à des réformes de grande ampleur au niveau national, la légitimité et le charisme de Michelle Bachelet pourraient permettre de relancer une dynamique au niveau régional. Sa rupture idéologique avec son prédécesseur augure d'un rapprochement avec d'autres présidents de la région, et elle dispose d'atouts majeurs pour composer avec des leaders de l'envergure de Dilma Roussef, de Christina Kirchner, de Rafael Correa ou d'Evo Morales.  

Son programme international plaide d'ailleurs en ce sens : " la politique extérieure du Chili sous le prochain gouvernement doit contribuer à construire une meilleure unité régionale [...]. La CELAC [Commission des Etats d'Amérique latine et des Caraïbes] doit être une instance de coordination politique dans la région ".  

Cet objectif ne serait pas incompatible avec celui d'une politique exportatrice résolument tournée vers l'Asie, en développant l'Alliance du Pacifique lancée sous le gouvernement sortant. Michelle Bachelet entend utiliser l'impulsion de départ de cette instance récente pour en faire une " plateforme commerciale pour se projeter collectivement vers la région asiatique ".  

Les ambitions de la future Présidente du Chili sont donc de jouer un rôle moteur dans l'intégration des pays d'Amérique latine et des Caraïbes, afin de relancer le dialogue avec les autres régions. L'Europe n'est pas en reste : Mme Bachelet souhaite " relancer [avec l'Europe] un dialogue politique, économique et de coopération avec un nouvel agenda basé sur la science, la technologie, l'investigation et l'innovation ". Encore incantatoires, ces déclarations devraient toutefois intéresser l'Union européenne, qui depuis le premier sommet UE-CELAC, a montré sa volonté de donner un nouveau souffle à sa coopération avec la région Amérique latine.  

Madame Bachelet prendra ses fonctions en mars 2014, et les défis qui l'attendent sont de taille. Elle a promis 50 mesures à mettre en oeuvre dans les 100 premiers jours de son mandat pour initier ces réformes de fond. Depuis l'Europe, les Etats porteront une attention particulière au prochain sommet de la CELAC qui aura lieu à Cuba au premier semestre de l'année prochaine. La construction d'une entité politique cohérente est la condition majeure pour un dialogue renouvelé et mutuellement bénéfique avec l'Europe.

Victor Abécassis
Article initialement paru sur L'Express : http://www.lexpress.fr/actualite/le-chili-de-michelle-bachelet-entre-reforme-sociale-et-influence-regionale_1308759.html

 

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